Cette semaine, mon regard s'est arrêté sur le reportage de Krushed Wall sur la dernière tournée de son groupe. J'avais déjà suivi le fil sur la tournée anglaise et bien aimé cette façon de partager une tranche de vie d'un groupe. Surtout que les reportages de ce gabarit ne sont pas si courants.
Au milieu des photos nettes, j'ai tilté sur la n°4, floue, crado (on dirait une diapo pleine de poussières). J'aime son côté graphique. Et quand je lis l'histoire qui va avec, j'aime l'ennui qui suinte sur cette vitre de voiture. J'ai donc posé quelques questions à Anthony, pour en savoir un peu plus...

1/ Peux-tu te présenter en 50 mots maxi ?
- J'ai 34 ans, je vis à Caen, je suis musicien et ingénieur du son depuis 10 ans. Mon groupe principal s'appelle Headcharger, et mon studio s'appelle le Studio de la Souleuvre. Pour résumer, je suis plein de trucs, mais je n'ai pas encore l'impression d'être photographe !
2/ L'image choisie cette semaine est tirée d'un reportage. Tu expliques qu'elle a été faite pendant un long trajet. Tu t'ennuyais tellement que tu en as fait des photos floues ?
- Disons que dans ma pratique photographique, la netteté est un problème récurrent... Bon déjà , je suis myope, et surtout je suis pas rigoureux, du coup je jette à la poubelle par paquet de gigaoctets des images floues... Pdc trop courte, mauvais choix de vitesse d'obturation, oubli de réenclencher la stab, etc. Le flou donc chez moi, c'est plutôt de l'ordre de l'accident que d'une vraie volonté artistique.
J'ai en tête un article de Slipsale sur son blog où il déclame son amour fou du flou. En soi, je comprends, mais avant de pouvoir faire des bonnes photos floues, il faut savoir faire des bonnes photos nettes... C'est comme Jimi Hendrix, des fois il joue faux, mais on s'en fout, c'est beau, ça vit, alors que quand un gamin de 12 ans joue faux, tu as juste envie de l'étrangler !
3/ Plus sérieusement, pourquoi l'as-tu faite et pourquoi l'as-tu retenue dans ton reportage ?
- Pour ne pas te mentir, quand tu m'as dit que j'allais être photo de la semaine, je n'ai pas pensé à un seul moment que ça pouvait être cette photo-là . Je me suis même dit que c'était vraiment bizarre, parce que pour moi, je n'ai pas une seule bonne photo dans mon reportage, d'où la petite phrase d'intro précisant que ce n'était pas un fil critique.
Au moment de prendre cette photo, elle m'a interpellé, je trouvais que graphiquement elle avait un truc qui me plaisait. Un mois après, quand j'ai commencé à bosser sur le tri des photos et sur le traitement, elle me parlait déjà nettement moins.
Mais je l'ai gardée parce que je pars toujours du principe, c'est valable en musique aussi, que la première impression est toujours la bonne, ou au moins que les premiers sentiments sont les bons. Quand tu reviens dessus, encore et encore, tu perds toute fraîcheur et toute objectivité... Enfin si, justement, peut-être que tu deviens trop objectif, mais ton regard est biaisé, tu vas noter les défauts, imaginer comment tu aurais pu faire mieux, etc.
Mais bon, si en art c'était l'objectivité qui faisait la loi, ça se saurait !
4/ Cela fait plusieurs fois que tu nous présentes des photos liées à des concerts ou des tournées de ton groupe. Est-ce facile de concilier musique et photo ?
- Oui et non. Oui c'est facile à concilier d'un point de vue didactique. Les parallèles entre la musique et la photo, au moins d'un point de vue technique et, aussi un peu, artistique, sont nombreux. J'irais même jusqu'à dire que pour moi, la photo et la musique sont deux expressions différentes de la même chose, de la même motivation, du même désir de raconter quelque chose. Un peu comme en maths, la géométrie, l'algèbre, la topologie sont plein de trucs archi différents dans la forme, mais qui au final sont juste différentes expressions de la même réalité mathématique (désolé pour cette parenthèse!).
Pour le non, c'est d'un point de vue pratique, pas tant un problème de temps disponible, mais plutôt de « cerveau disponible ». Quand je suis en tournée, je dois vraiment me faire violence pour sortir mon appareil. Ce n'est pas que je n'ai pas l'envie, mais quand je suis dans un van ou dans une salle de concert, mon cerveau est déjà occupé par le concert du soir et tout l'attirail de trucs à gérer autour. Difficile d'y trouver des neurones disponibles pour être créatif.
5/ En dehors de la photo liée à la musique, quel autre type de photo fais-tu ? As-tu souvent un appareil photo avec toi ?
- La majorité de mon travail en photo, c'est le paysage, c'est ce qui m'a donné envie de me mettre à la photo. J'adore les beaux paysages, la mer, les paysages urbains, les zones portuaires. C'est ça qui me fait vibrer. La photo dans le cadre de la musique, c'est plutôt pour le fun, ou pour expérimenter des trucs. Il m'arrive de me poser des contraintes par exemple. Pour la dernière tournée, je me suis dis que j'utilisais de manière trop systématique mon 10-24mm, du coup certains jours, je me suis dit « bon aujourd'hui, tu montes un 50mm fixe, et tu te démerdes avec ça »... A chaque fois, j'ai fini en remontant mon grand angle, mais au moins j'essaye !
Dans la vie de tous les jours, je ne me balade jamais avec mon appareil ou très rarement. Je sors pas de chez moi en me disant qu'au cas où, par hasard, je vais peut-être faire deux ou trois clichés. Si je sors de chez moi avec mon appareil, c'est avec comme seul et unique but d'aller faire des photos, encore une fois c'est une question de cerveau disponible, il faut être « aware » (© JC Van Damme) pour que le potentiel photographique de ce qui t'entoure te saute aux yeux.
6/ Tu fais de la photo depuis assez peu de temps (trois ans, tu es un petit jeune). Pour quelles raisons t'y es-tu mis ?
- Au départ, je suis fan de cinéma. J'avais même monté un groupe dans lequel on mélangeait vidéo et musique, parce que pour moi tout ça était lié. Et dans la lignée de ça, j'ai voulu me mettre sérieusement à la vidéo, j'ai commencé à m'équiper, à apprendre à me servir des logiciels et tout. Après quelques années à bosser là -dessus, je me suis au final rendu compte que ce que je cherchais dans la vidéo, et que aussi j'aimais dans le cinéma, c'était les plans fixes. Je suis un fan des films lents et contemplatifs comme sait les faire Takeshi Kitano par exemple. Bref, là où je veux en venir, c'est que finalement pour moi un film, c'est juste une succession de photos avec une trame narrative. A terme, la finalité de mon travail de photographe serait d'en faire un film, un diaporama avec du son et une voix off, par exemple.
7/ Est-ce que tu regardes beaucoup de photos ? Et si oui, quel style, quels auteurs ?
- Je ne regarde pas assez de photos. Au tout début même, je n'en regardais pas du tout. Je regardais juste ce qu'il se passait sur les forums où je traînais pour apprendre des trucs. Et c'est en causant, en rencontrant d'autres photographes, qu'un jour je me suis rendu compte que j'avais zéro culture photographique. J'ai d'ailleurs suggéré un fil (crée par extremephilou) où justement l'idée est que chacun puisse venir partager des liens vers des photographes qu'il aime. Je trouve ça vachement intéressant parce que je vais voir des trucs à côté desquels je serais passé. A chaque fois que tu regardes le travail d'un photographe, que tu aimes ou tu n'aimes pas, tu enrichis ta culture photographique, et si jamais tu as la démarche de te poser la question de pourquoi tu aimes ou pas, tu améliores ta pratique photographique. Encore une fois, tout ça, c'est pour moi le même cheminement que mon apprentissage de la musique. J'ai commencé à vraiment avoir une personnalité dans ma musique, le jour où j'ai pris un abonnement à la Cdthèque du coin (le mp3 n'existait pas !) et que je prenais 5 disques par semaine complètement au pif !
8/ Tu as posté ton fil pour le partage, mais restes quand même ouvert à la critique. Quel est ton point de vue sur le sujet ?
- Lire des bonnes critiques sur des photos pas abouties est souvent plus enrichissant que des "non-critiques" sur des photos réussies. D'ailleurs, les meilleures photos ne sont pas forcément les plus commentées, d'où l'importance d'un fil comme celui-ci, à mon avis.
En fait, avoir une pratique artistique, ça veut dire susciter une émotion, une réaction, c'est donc indissociable de la critique.
Les réactions épidermiques qu'on lit des fois sur les forums genre "ma photo est géniale, si vous n'êtes pas contents, allez voir ailleurs!", ça m’échappe...Personne ne fait l'unanimité dans un art, et heureusement !
Quand je poste une photo, ou quand je participe au concours mensuel, j'essaye de comprendre les critiques, les intégrer, les digérer, quitte à "jeter des cailloux dans le lac de mes certitudes". On a quelques bons posteurs qui ont toujours la petite critique constructive qui va bien et qui te fait progresser, c'est là tout l’intérêt d'un forum pour moi.
Sinon, le forum m'a aussi permis de rencontrer des gens en vrai, ou d’échanger avec eux plus volubilement via le net, je pense à Aguares en premier, et ensuite à Undertaker, Staurenghi, Dark_K, par exemple (j'en oublie), qui sont tous toujours de bons conseils, que ce soit des histoires de matos, ou des livres à lire, des sites à voir, des photographes à découvrir, etc
Merci Ă eux, et Ă toi pour ton choix, et Ă ceux qui ont lu toute l'interview !
C'est vrai qu'il est bavard, Krushed Wall


Vivement les autres photos de cette tournée. Et celles de la suivante !
Et merci de t'être prêté au jeu
