Lionel a écrit :Je ne dit pas qu'il a inventé une nouvelle technique, c'est juste une vision de la photographie dont j'ai beaucoup de peine à comprendre les codes et que j'essaie d'étudier pour m'en inspirer.
Tu as mille fois raison d'étudier et de t'inspirer ; mais enfin, je ne vois rien dans tout ces exemples qui démontre une « vision particulière » ou problématique, et je ne saisis pas en quoi cela contiendrait de savants « codes » à décrypter : les images que tu montres, que ce soit les tiennes ou les leurs, et qu'elles soient belles, plaisantes, ou banales, ou ratées, relèvent toutes peu ou prou du cadrage qu'on appelait jadis fort justement « plan moyen » ou « plan naturel », et qui est depuis Nicéphore Niepce la perspective photographique la plus ordinaire de toutes ! Autrement dit : ces images, — indépendamment de leur plus ou moins grande joliesse —, sont vraiment ce qu'on peut imaginer de plus immédiat, de plus neutre et de moins codé. (L'immédiateté est d'ailleurs
justement toute la qualité de ce cadrage, et ce n'est pas pour rien qu'il a dominé les autres dans l'histoire de la photographie… ) De même, le procédé de fermer le cadre par une ou plusieurs verticales latérales pour asseoir l'image est aussi vieux que le calotype, pour la très simple raison qu'il permet une congruence entre le contenu et le contenant, ce qui est naturel et immédiat, là encore…
Je ne connaît pas les motivations de M. Heaton, mais enfin oser appeler ça "
intimate", alors que sa nature est justement de n'être pas marqué, de n'être ni serré ni large, ni intime ni extime, c'est du marketing à la va-comme-je-te-pousse, ou bien de la naïveté. (Je suppose qu'il veut tout bonnement dire par "intime" que le cadre en est plus serré que celui de la vision humaine ; mais dire ça ou rien, c'est pareil.) Il suffit à M. Heaton d'ouvrir une vieille collection du
National Geographic pour s'apercevoir à quel point ce qu'il fait est parfaitement standard et a été fait des milliasses de fois longtemps avant lui, et ne mérite pas un nouveau nom (dire que c'est standard ne signifie pas que c'est de mauvaise qualité, évidemment).
Il fut un temps pas si lointain où les boitiers n'étaient vendus en kit qu'avec la « focale normale », où les plus grands photoreporters chantaient les louanges du 50mm, donc forcément la perspective standard était la norme et ne gênait personne, et le 24mm suffisait pour donner le mal de mer. Mon père se souvient encore de sa surprise navrée quand il découvrit les images qu'il avait faites avec un malheureux 28 (vingt-huit !) qu'on lui avait prêté pour un "safari photo" en Vanoise : à son goût tout était dilué, évaporé, artificialisé, déglingué, bref déplaisant…
Aujourd'hui la mode est au contraire aux perspectives élargies, voire démesurément larges, sans parler des omniprésents smartphones : on est habitué à « en faire rentrer le plus possible dedans » et à être «
immergé dans l'image » (il doit y avoir là quelque chose de freudien
) ; du coup, le plan moyen paraît mystérieusement et originalement « resserré », « résistant », « dense », « hautain », on se demande ce qu'il peut bien y avoir là-dedans de si savamment agencé pour nous titiller ainsi. On se tracasse, on s'efforce, on finit par arriver à l'endroit d'où les autres étaient partis : on a réinventé la roue.
Et ainsi de suite, au gré de l'impermanence des choses et de l'oubli du passé.
Peut-être que dans vingt ans, la mode sera aux compositions orthonormées avec une pdf maximale, et que la moindre trace de bokeh paraîtra une nouveauté rigolote et délicieusement kitschissime, à étudier de près pour être dans le coup. Les jeunes appelleront ça le
bokehmate. Et les vénérables moustachus diront « Pfff, haha, z'auriez plutôt dû voir mes images sur le forum ADxD dans les années 2010, les bulles de savon que j'arrivais à sortir avec mon vieux Sigma 105 1.4 Art tout pourri ; ça c'était de la vraie photo faite à la main ! » Et tout le monde sera content, ce qui est le principal