Cloclo a écrit :Et pour discuter le hors sujet, je sais très bien qu'il y a polémique là-dessus. Ce pourquoi je me rattache au fait que "autant" se traduit une idée quantitative, ou par "la même chose pour moi", ce qui n'a aucun sens lorsque l'on reconnaît avoir commis une erreur.
"Autant pour moi" serait correct si c'était pour avouer que l'on avait fait la même erreur que celle qu'un autre vient d'énoncer
Quant aux stats' sur le terme le plus employé, ça aussi n'a aucune valeur : cela revient juste à entériner, de guerre lasse, les erreurs de langages commises par M. tout-le-monde. On le voit bien depuis quelques temps où pour justifier que le Français est une langue vivante, on admet des variantes orthographiques qui jadis coûtaient des points en moins à l'école. Pas facile de suivre nos gosses dans leurs études !
Par exemple, dans des temps éloignés, on devait dire : "je suis courbatu". Depuis pas mal d'années, "je suis courbaturé" est devenu valable car trop entendu en "langage des rues". Alors, à quant la validation de : "mon père a fait un infractus" ?
@ laps78 : si tu trouves cet horrible HS trop gênant dans ton fil, dis-le moi, je supprime sans problème
@ cloclo :
1) Autant n'est nullement limité au rôle rigide de comparatif de quantité : il peut aussi comparer l'intensité ou la valeur. Et il peut dans le même temps assumer ce qu'on appelle dans notre jargon "la vection causale" :
« La monture A est à l'abandon ! C'est trop horrible ! Autant me flinguer tout de suite ! »
Mais surtout une expression ne se résume pas à un schéma d'engrenages syntaxiques sagement alignés sur la logique formelle : ce serait oublier le rôle fondamental de la rhétorique ! Certaines formules très courantes sont fort opaques, voire aberrantes, du strict point de vue de la syntaxe. Exemples bien connus des étudiants en première année de linguistique : tenter d'établir le graphe syntaxique de l'impersonnel "Il y a" ou de l'interjection "voyons voir"… Essaye un peu de parler le français sans jamais utiliser l'impersonnel, sous prétexte qu'il est syntaxiquement dégueulasse…
En fait, « Autant pour moi ! » doit être compris comme une ellipse (l'ellipse est extrêmement fréquente dans le registre des expressions figées — proverbes, locutions, apophtegmes, etc.) : autrement dit, elle constitue le reliquat expressif d'un discours plus explicite et plus étendu.
Il existe déjà plusieurs hypothèses, mais je gagerais pour ma part, compte-tenu de l'époque d'apparition des premières variantes du syntagme « autant pour (qqn) » — soit le XVIIe siècle —, que « pour moi » signifie "pour ma conscience", "pour mes péchés", et par extension "pour mon compte".
« Autant pour moi ! » = "Cette erreur, je dois intégralement la reconnaître et l'inscrire au compte de mes fautes" = "C'est autant d'erreur que je dois reconnaître et inscrire au compte de mes fautes".
Autrement dit, « Autant pour moi ! » équivaudrait EXACTEMENT à «
Mea culpa », et ne serait pas très éloigné du moderne « J'assume ! » (qu'on le profère sincèrement, ou hypocritement, ou ironiquement, ou inconséquemment)…
2) Il ne faut pas avoir de la langue une image si réductrice et si artificielle : une langue n'est pas une construction logique
a priori, et encore moins un recueil de lois aussi sévères qu'intangibles devant tenir en respect — et même tenir en joue — l'inculte M. Tout-le-monde. Une langue est un ensemble d'usages — un ensemble à la cohérence réelle certes, mais mal déterminable, un ensemble à la fois flou en dimensions, souple en consistance, instable dans le temps, et infusé dans son environnement. On pourrait dire qu'une langue est un "nuage d'usages".
Prenons l'exemple que tu cites :
courbatu /
courbaturé. Tu supposes que
courbaturé est une erreur et une faute, puisqu'on (qui ?) disait autrefois
courbatu. Mais :
1°
Courbaturé est parfaitement conforme à la dérivation française la plus commune, à partir du moment où l'on admet le verbe
courbaturer ; et ce verbe est lui-même parfaitement conforme à la dérivation française la plus commune, à partir du moment où l'on admet le substantif
courbature, que l'on est bien forcé d'admettre, puisqu'il apparaît déjà dans le même système de langue (le "moyen français") que ce
courbatu auquel tu es attaché.
Et non seulement ces dérivés sont
conformes, mais ils sont
utiles (puisqu'ils font système*), et ils sont maintenant
anciens (
courbaturer &
courbaturé(e) sont déjà recueillis dans les premières éditions du dictionnaire de N. Landais dans les années
1830, ce qui laisse supposer un usage remontant à la Révolution, au moins… ).
*Est également attesté le participe présent adjectivé
courbaturant(e), y compris chez des auteurs parfaitement reconnus.
2°
Courbatu, que tu juges seul correct, est en fait la déformation "FAUTIVE" de
court-battu, qui est lui-même issu FAMILIÈREMENT de « battre court » (c'est-à-dire battre à coups redoublés,
court étant ici adverbial). Mais alors, pourquoi ne remontes-tu pas carrément à l'origine et ne dis-tu pas « j'ai été battu court » plutôt que « je suis courbatu » ? Et pourquoi accepter si facilement ce fautif
courbatu, mais être dégoûté par
courbaturé ? Au nom de quel arbitraire ? Et sur quelles bases juger que les usages contemporains ne peuvent être que la corruption d'usages anciens prétendument plus purs, plus justes, plus corrects, plus logiques, plus vrais ?
Infarctus n'est pas "plus vrai" qu'
infractus, il est seulement plus proche de son étymon, rien de moins, rien de plus. Si la forme
infractus s'imposait (ce qui n'est pas absolument impossible pour toutes sortes de raisons que je ne détaillerai pas ici), elle deviendrait la forme "correcte", comme « le lendemain » est devenu la forme correcte à la place de « l'endemain », qui avait lui-même prévalu sur « l'en demain »… Est-ce que « le lendemain » te choque ? Absolument pas. C'est pourtant bel et bien une « erreur de langage de M. Tout-le-monde » qu'on a fini par « entériner de guerre lasse ». Eh oui…
Comme quoi, déjà au Moyen Âge, tout partait à vau-l'eau et tombait en décadence
Évidemment, tu as parfaitement le droit de t'en tenir à « courbatu » (ou à « au temps pour moi ») dans ton usage personnel : en langue, on a tous les droits (sauf dans les textes officiels, qui par nature réclament d'être normés, par le simple fait qu'ils disent eux-même la norme). Mais ton discours — comme tout discours — véhicule des valeurs et induit des réactions : de même qu'écrire avec une orthographe personnelle ou grotesque, ce qui est un droit absolu, va entraîner des difficultés de communication et surtout des jugements sociaux, de même utiliser des formes minoritaires et/ou archaïques va par exemple porter mon interlocuteur à estimer que je suis un esprit ringard, ou pédant et prétentieux, ou bizarroïde, ou agressif ; un auditeur mal informé pourra même juger que je commets là un barbarisme ! Quand le but est de mettre en avant des formes plus précises, plus suggestives, plus denses, moins équivoques, etc., très bien. Mais quand c'est par hypercorrectisme et attachement à un
bon vieux temps totalement fantasmatique, faut-il vraiment s'arc-bouter ?…
Voilà pourquoi il n'est pas si négligeable de savoir que telle forme est plus courante et/ou plus moderne que telle autre. Ensuite on choisit en toute connaissance de causes et pour de bonnes raisons