Je profite donc de son retour au camp de base pour lui mettre le grappin dessus.
- Salut Kaptain, tu as déjà eu les honneurs d'une interview et comme il arrive souvent lorsque l'on a du talent, voici la deuxième. Quelque chose à rajouter par rapport à ta première présentation? Du changement? Une nouvelle coupe de cheveux?
- Bonjour, J.C. Merci de me donner la parole pour une deuxième interview. Par rapport à 2012, peu de choses ont changé... Ah si ! j'ai sans doute un peu moins de cheveux !
- Je dois avouer que j'aime beaucoup ta production, cela représente tout ce que j'aime dans la photographie, on sent la connexion très forte avec la nature, on peut parler de communion. Est-ce que cet amour pour le milieu naturel t'es venu grâce à la photographie ou bien est-ce quelque-chose que tu as depuis toujours? Et pourquoi le Grand Nord?
- A vrai dire, c'est Polar Girl (Madame KaptainIgloo) qui résume le mieux notre parcours "Nous sommes venus à la photo par le voyage, et aujourd'hui nous voyageons pour la photo". Cela remonte à 2001, année de notre premier voyage à l'étranger : destination l'Islande, sac au dos, et reflex tout neuf en bandoulière. Le coup de foudre commun pour le Nord et ses lumières fabuleuses a été immédiat. Pour la solitude qu'il peut apporter aussi. Nous sommes sans doute un peu "ours" (surtout madame) et nous apprécions de nous retrouver seuls dans la nature. Au cours de nos treks, il nous est arrivé plusieurs fois de passer 8 jours sans même apercevoir un autre être humain. C'est relativement aisé dans le Grand Nord, ou la densité de population est très faible et ou le tourisme n'est souvent développé que dans quelques zones faciles d'accès.
- Pour de telles images, pas de secret il faut se bouger. Vos treks, certains en autonomie totale pendant plusieurs, jours font rêver. Raconte nous un peu comment se passe la préparation logistique et photographique?
- La difficulté logistique varie plus ou moins suivant notre destination. Lors de notre voyage au Nunavut en 2005, nous avons emprunté 15 fois l'avion !
Avec le développement d'internet, trouver des infos est très facile. Par exemple, les cartes topographiques norvégiennes peuvent se consulter en ligne. La plupart de nos voyages est basé sur un trek de plusieurs jours en autonomie totale. C'est donc la nourriture qui devient le problème à résoudre : Même avec du lyophilisé comme base alimentaire, il faut compter 500 à 600 g de poids par jour et par personne... sur 10 jours d'autonomie, on dépasse donc allégrement les 10 kilos à nous deux rien que sur ce poste.
Concernant le côté photo, nous emportons l'équipement qui nous semble le plus rationnel par rapport à notre destination et à notre objectif photographique. Cela peut aller de l'équipement simple (pour nous deux : 2 boitiers, objectif 16-80, 70-400, filtre pola, dégradé gris, et un petit trépied carbone) à l'équipement "lourd" (3 boitiers, 300 2.8, 70-400, 16-80, 70-200 en secours, 8mm, 2 trépieds, pendulaire) et beaucoup (beaucoup !) de batteries - 10/12 - L'an dernier, pour notre voyage à Dovrefjell, le matériel photo pesait à lui seul presque 15 kg !!
- Etant moi-même en train de complètement repensé mon sac à dos (Less is more ) j'ai envie de te demander le poids du tien pour un Trek de plusieurs jours dans le Grand Nord?
- Je vais en faire halluciner plusieurs : "Lourd, c'est bien, lourd c'est fiable..." ... le light n'est pas vraiment notre truc !
En conditions estivales, notre record de poids de sac à dos est de 32kg pour moi et 25kg pour Rachel. C'était lors de notre traversée Nord-Sud de l'Islande : 18 jours pour faire 450 kms sans ravitaillement. Au Spitzberg, c'était pas mal non plus. Rien que le fusil pour se protéger des ours polaires pesait plus de 5 kg. Mon sac dépassait là aussi les 30 kg. Le prix de l'autonomie absolue sur cette terre polaire.
Aujourd'hui, nous avons tendance à moins partir l'été. Nos voyages se font maintenant souvent skis aux pieds. La pulka (sorte de luge que l'on tracte) permet d'emporter beaucoup de matériel : sur le plat, chargée à 40 kilos, elle ne se sent presque pas. (dans les côtes, c'est une autre histoire...)
- Une fois sur place et le trek commencé, il se peut que tout ne se déroule pas exactement comme prévu, tu dois avoir de sacrés anecdotes. Tu en partages une avec nous?
- Dans les conditions où nous partons, nous essayons de prévoir l'imprévisible. Dans la majorité des cas, ça consiste à se ménager au moins un jour de marge par semaine sur notre planning, à avoir un jour de nourriture en plus que nous n'en avons besoin, et à ne pas surestimer notre capacité à progresser dans les secteurs sans sentier et parfois gorgés d'eau des contrées boréales.
Nous gardons d'un de nos voyages en Ecosse un souvenir nocturne humide : c'était en février, nous faisions un trek de quelques jours sur l'Ile de Skye. Nous dormions sous la tente en montagne. Dans la soirée, il se met à tomber des trombes d'eau et ça se prolonge toute la nuit. Sur le matin, j'ai une sensation bizarre... je me réveille complètement et constate que nous baignons dans presque 15 cm d'eau. Le petit ruisseau vers lequel nous campions avait quitté son lit quelques centaines de mètres au-dessus de nous et dévalait la montagne ! Duvets mouillés, affaires de rechanges trempées, boitier A700 tout neuf rincé... Nous avons immédiatement pris la décision de rejoindre la civilisation. La voiture n'était qu'à 20km. L'après midi s'est terminé au pub, à faire sécher nos affaires. C'est la seule fois où nous avons interrompu un trek.
Pour l'anecdote le boitier "rincé" m'a servi encore plusieurs années.
- Entre animalier et paysage, ton coeur balance t'il ou bien as tu quand même un domaine préféré?
- C'est vrai que les deux domaines me plaisent. Mais c'est quand même en animalier que j'ai mes plus grandes émotions. J'ai vraiment un faible pour les boeufs musqués. Croiser le regard d'un gros mâle qui me toise est un moment terrible.
- J'imagine les heures passées à trier ces milliers de photos une fois rentré à la maison. Peux tu nous décrire ton flux de travail typique une fois que le doigt a appuyer sur le déclencheur?
- J'aime bien laisser un peu de temps entre la prise de vue et le tri. Le côté affectif diminue avec le temps et permet d'aller plus vite en gardant le doigt sur la touche "suppr". Mon flux de travail est souvent toujours le même :
Copie des Raw sur le PC, changement de nom des fichiers, sauvegarde. premier tri (suppression des flous, des mauvais cadrages, des photos sans intérêt, des doublons). Sauvegarde. Dérawtisation dans Camera Raw. Sauvegarde. Second tri sur les Jpeg en comparant la netteté et en supprimant ce qui ne mérite finalement pas d'être conservé. Sauvegarde. Ensuite je repère et met de côté les photos qui peuvent être utilisées en concours, faire l'objet d'une proposition à un magazine, d'une exposition ou d'une soumission à l'agence Naturimages avec laquelle nous collaborons, Rachel et moi.
Au final, le nombre de photo "nature" que nous conservons sur une année n'est pas si élevé : à deux, nous arrivons à plus ou moins 2500 images. Soit environ 1 déclenchement sur 4 ou 5.
- Quelle place occupe la photo maintenant dans vos vies, arrivez vous Ă en vivre?
- Rachel vit aujourd'hui intégralement de son activité photographique. Elle cumule les activités de photo sociale (mariages par exemple) avec son travail d'auteur-photographe et son activité de prestation de tirages. Pour ma part, j'ai toujours une activité salariée dans le secteur de la reprographie et de l'imprimerie.
Nous aimerions, à terme, développer en commun une activité de stages photographiques à proximité de chez nous, en Auvergne.
- Comment vous organisez vous Polar Girl et toi pour gérer tout cela, y a des tâches réparties dans votre petite entreprise photographique familiale?
- J'assiste parfois Rachel sur les tirages (mes connaissances techniques en colorimétrie acquises en imprimerie sont parfois bien utiles). Je passe aussi pas mal de temps à indexer les images destinées à l'agence. Rachel vérifie ensuite les champs IPTC et optimise les fichiers dans photoshop.
- Des projets d'expo, de livre, de one man show?
- Après avoir exposé "Wild and White" (les boeufs musqués de Dovrefjell) au Festival Images et Neige de Cluses, et à Cusset (à 5 km de chez nous), nous la présenterons à Montier en Der en Novembre 2014. Je pense que ce sera un grand moment de rencontre avec les membres de Dxd qui feront le déplacement !
- Je te laisse le mot de la fin, je veux pas t'accaparer trop longtemps, faut que tu repartes très vite nous ramener de superbes images de contrées où beaucoup d'entre nous n'auront peut-être jamais la chance d'aller!
- J'ai beaucoup parlé voyage et treks et peu de matériel photo. Les propos suivants vont plus s'adresser aux débutants qui nous lisent :
Parfois, j'ai la sensation que la liste du matériel mentionné dans la signature de certains membres (dont la mienne) peut laisser supposer qu'un matériel de haute volée est essentiel pour réussir de bonnes images. Or, bien souvent, un boitier et une optique basiques suffisent pour arriver à de bons résultats, surtout en paysage. Mieux vaut soigner ses prises de vue, ses cadrages, sa gestion de la lumière, trouver le bon angle, attendre le bon moment, plutôt que de croire qu'un meilleur matériel va permettre de réaliser de meilleures images. Pour ma part j'utilise encore beaucoup l'A700, et sur les tirages de notre dernière exposition (40x60 sur papier Fine Art), il est quasi impossible de distinguer les fichier issus de l'A700 de ceux issus des 24 millions de pixels de l'A77...
Merci pour ces derniers conseils de sage, je vous souhaite encore plein de treks et d'aventures photographique dans ces contrèes ques vous aimez tant.
Pour notre plus grand plaisir!
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