Semaine 43-2016: AirV

Cette section contient les photos sélectionnées par les galeristes. Une photo à la une, choisie par un galeriste, suivie d'une interview de son auteur.
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J.C
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#1 Message Lun 24 Oct 2016 19:32


Bonjour Ă  tous,

C'est un projet atypique Ă  l'Ă©chelle du forum que j'aimerais mettre en avant cette semaine.
Pour ceux qui n'ont pas encore été faire un tour sur ce fil, je vous conseille de le faire sans plus tarder.
J'espère que cette interview vous éclairera sur les intentions de l'auteur et vous donnera quelques clés pour mieux appréhender son travail.


      277704
      #277704: Consulté 5412 fois
      Exifs
[noindex]

- Je ne présente plus AirV qui à déjà été épinglé deux fois pour l'interview de la semaine.
Nous nous intéressons ici plus particulièrement à cette série sur les édicules.
Peux-tu rappeler ta démarche pour ce projet, stp?


    Bonjour Jean-Christophe, bonjour Ă  tous.

    Tout d’abord un grand merci de m’avoir épinglé pour l’interview de la semaine notamment pour cette série qui est au cœur de mes préoccupations en ce moment.
    Au delà du plaisir à avoir été choisi, cette interview est l’occasion d’un examen rétrospectif sur ce travail commencé il y a environ un an.

    Dans cette série je me suis fixé comme but de photographier des édicules. Ces petits édifices qu'on croise tant sur les routes et les chemins de campagnes qu’en ville.
    Ces Ă©dicules ne sont pas des monuments (statues, calvaires, etc.) mais des petites constructions dans lesquelles on peut entrer : oratoires (ou petites chapelles), petits locaux techniques, arrĂŞts de bus, abri agricoles, ou mĂŞme vespasiennes publiques, etc...
    La liste n’est pas figée du moment qu’il entre dans la définition d’un édicule.
    Il y a un très grand nombre d’oratoires dans la région où je me situe aussi ce type est, pour l’instant, le plus représenté.
    Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Robert donne comme premier à sens à « édicule » : Petit temple, chapelle ou dépendance d'un édifice religieux,
    tout en précisant que ce sens s’est raréfié du fait que le mot s’est, au fil du temps, étendu à d’autres édifices et notamment au sens courant (toujours selon le Robert) qu’il a fini par prendre : urinoir, chalet (de nécessité), pissotière, vespasienne.
    Toutefois j’espère arriver à un meilleur équilibre dans la série même si les oratoires demeurent le type dominant.

    J’aborde la série comme un travail qui tout en se fondant sur des principes du « style documentaire » ou de la « Nouvelle Objectivité » introduit des biais qui affichent des signes de la subjectivité.

    Au style documentaire appartiendraient les éléments suivant :
    l’aspect sériel
    la vue (presque) frontale de la façade principale de l’édicule
    l'absence ou la quasi absence d’ombres
    l’emploi d’un seul couple capteur-objectif

    La subjectivité s’exprimerait par l’abandon :
    de la netteté absolue
    de la recherche d'une certaine neutralité pour les arrières-plans et les ciels au profit d’une complémentarité avec l’édicule.

    Le choix des édicules se fait d’ailleurs selon ce principe de subjectivité, puisque seul l’aspect attracteur (« coup de foudre »), le fait d’avoir envie de le photographie me motive pour l’inclure dans la série.
    Je ne me suis donc pas astreint à un secteur géographique, une fonction, un type, ou tout ce qui aurait trait à un travail de recensement.

    Je considère ces photos comme des « portraits d’édicules ».
    Par rapport à l'environnement, au ciel et au positionnement dans le cadre : la neutralité fait place à une mise en scène rendant compte du lieu tel que je l'ai perçu ou tel que je l'ai imaginé alors qu'il m'interpellait.
    Le ciel, la position dans le cadre, la saison, la lumière, etc. sont choisis en fonction de l’édicule.
    J’ai choisi le couple capteur-objectif (H4D-31 muni du HC 80mm) de manière à donner cette image de portrait avec l’édicule qui se détache tout en donnant la sensation de faire partie de l'environnement : arrière ou avant plan.
    Je ne souhaitais pas un effet trop marqué qui risquait d’être caricatural (effet d'élévation collée sur un décor), d'autant que les édicules sont photographiés frontalement et n'ont pas de « volume ».
    La combinaison taille de capteur/focale/ouverture du H4D-31 muni du HC 80mm (équivalent 68mm en FF), essentiellement utilisé à PO soit f/2.8 convient parfaitement à ce que je recherche par rapport à la distance de prise de vue résultante de la dimension des édifices : un bokeh doux et très progressif, mais au flou suffisamment marqué pour que l'édicule se détache bien. Peut-être aurai-je le même effet avec un FF et une focale approchante, comme le summilux 75mm, mais la visée télémètrique n'était pas la plus adaptée pour ce type de travail, et le format 4/3 s'accorde assez bien au propos.

- La première question que beaucoup doivent se poser: pourquoi des édicules?
Aurait-il été possible que ce soit un autre sujet ou bien as tu des affinités particulières (je rappelle que tu es architecte et enseignant de l'architecture) avec ces édifices?


    Je suis incapable de dire si le sujet aurait pu être différent tant la démarche et le sujet ont été imbriqués dès le départ.
    L’idée de cette série est arrivée un peu par hasard, alors que je sortais de chez moi, peu après être rentré de vacances, j'ai remarqué un nouvel abri de jardin gris dans le parc en face de chez moi (#2 du fil), et dans la demi-heure qui a suivi, j’ai vu le transfo (#1 du fil).
    Je me suis arrêté pour le photographier et en même temps naissait l’idée de prendre en photo l’abri de jardin vu quelques minutes avant. Cela m’a de suite donné l’envie de cette série dans la démarche et dans le sujet.
    Très rapidement je me suis souvenu de la chapelle blanche souvent croisée alors que je me rendais à De Panne (#3 du fil) et avec cette troisième photo est née la série et le début du fil dédié sur le forum.
    C’est d’ailleurs cette troisième photo que j’ai choisie pour illustrer l’interview. Elle me semble importante puisqu’elle consacre la série et elle est représentative de la notion de portrait.

    Le fait que je sois architecte et que j’enseigne la conception architecturale a influencé la série, mais peut-être davantage dans la démarche que dans le sujet lui-même.
    Ce rapport que la démarche entretient entre le style documentaire et la subjectivité rejoint par bien des aspects les travaux et réflexions que j’ai depuis plusieurs années sur les modélisations de la conception architecturale (à des fins objectives) qui seraient perturbées par des accidents émotionnels de l’ordre de l’intuition.

- Nous avons donc affaire à des portraits d'édicules dans un style fortement inspiré de l'école de Düsseldorf.
Pourrais t'on dire que c'est un peu un grand écart entre la démarche patrimoniale des Becher et les portraits de Thomas Ruff ?


    Pour l’allusion au portrait j’avais plutôt d’autres références en tête, tel celui de Jean-Paul Sartre par Henri Cartier-Bresson sur le pont des Arts où on aperçoit également Fernand Pouillon.
    Mais aussi ceux réalisés par Yousuf Karsh qui donnent, presque toujours, la sensation d’être dans un environnement intime, même s’il s’agit d’un fond neutre pour certains, voire pour la plupart.
    Lorsqu’il y a présence d’arrière ou d’avant plan, j’admire la manière dont ils sont intégrés tout en laissant la vedette au sujet principal. Il arrive même que ce soit le sujet principal qui ne soit pas dans le plan de netteté (je pense à l’un des portraits de Pablo Picasso). Bien que Picasso soit dans le bokeh et en second plan, il reste sans ambiguité le sujet principal, c’est très fort !!
    Etrangement les arrière plans « neutres » de Yousuf Karsh me semblent refléter davantage la personnalité de la personne photographiée que les fonds colorés de Thomas Ruff qui s’accordent des personnes qu’il portraiture.
    A cela je peux avancer deux hypothèses, les attitudes changeantes et particulières dans les portraits de Yousuf Karsh qui s’opposent à celles figées de ceux de Thomas Ruff qui peut se comprendre comme un héritage du travail des Becher, l’autre étant la lumière.
    Le choix de varier la position de l’édicule dans le cadre, plutôt que de le placer de manière identique (par exemple et au hasard : au centre), est un moyen d’introduire l’attitude dans le portrait de l’édicule et donc une rupture avec un travail dans la lignée de celui que faisait les Becher.
    Au fil de la série et suite aux remarques d’un photographe sur un autre forum, je me suis un peu détaché de la recherche d’une lumière systématiquement « plate ». La #10 est la première photo où se changement apparaît, toutefois la photo #6 avec le contre-jour, s’inscrivait de manière inconsciente dans ces variations autorisées de l’impact de la lumière. On peut considérer que la #10 est la première où cela s’est fait sciemment. Il me semble que les photos #15 & #16 intègrent une lumière plus violente encore, d’ailleurs je me suis demandé si elles ne dénotaient pas dans la série. Une question que j’ai posée sur le forum. Avec le recul, je pense qu’elles ont tout à fait leur place. Les arguments qui m’ont convaincu de ne pas rechercher systématiquement une lumière plate étaient assez justes, notamment dans le rapport au « coup de foudre » et selon leur auteur donnerait une meilleure dynamique à la série. Toutefois je continue de refuser les ombres trop marquées sur la façade. Il m’arrive de prendre ce type de photo des édicules à des fins de repérage pour y retourner quand les conditions seront plus propices et lorsque je les observe dans l’ensemble, elles ne me semble pas appartenir à la série, la connotation expressionniste les démarquant excessivement.
    Pour dire encore un mot sur la référence « portrait, j’avais également en mémoire certains des portraits de Arnold Newman notamment celui de Igor Stravinski qui m’a toujours fasciné ou encore celui de Piet Mondrian.

- Concernant les éléments que tu cites rappelant le style de la Nouvelle Objectivité j'ajouterais la distanciation entre auteur et sujet.
Pour autant tu dis que le choix des édicules est conditionné par une émotion que tu as ressenti.
Je trouve que cette émotion n'est pas forçément mise en avant dans le cliché final et à moins d'accompagner chaque photo d'un texte expliquant ce qui t'as émotionellement poussé à choisir cet édicule, elle demeurera donc imperceptible.
N'est ce pas un peu dommage au final que cet élément de différenciation, à mon avis très important et original dans une telle démarche, tombe aux oubliettes?


    Hormis un texte générique de présentation qui peut éventuellement préciser certains points d'ordre général quant à cette notion d’accroche à partir de laquelle je décide d'inclure un édicule dans la série, je n'envisage pas de texte pour chacun d'eux, à part celui qui les situe et les décrit très brièvement. S'il devait en avoir un plus long, il traiterait de l'histoire de l'édicule. Cela pourrait être intéressant mais je ne pense pas la chose faisable, ou alors très ardue, vu le peu de documents qui doivent exister, et nous n'avons pas le souci de la transmission orale.
    Ce pouvoir attracteur est pour la plupart du temps fugace, nombre des édicules ont été vus et m'ont accroché alors que j'étais en voiture. Une vue fugitive qui dans ma mémoire le place dans un environnement qui doit autant à sa situation qu'à l'image que je m'en suis faite. Une fois l’édifice retrouvé, ce qui n'est pas toujours simple surtout si j'étais sur une autoroute (merci le GPS et la série bleue), et que je suis en face, j'essaye de recréer en le photographiant le souvenir que j'en ai. Mais cette confrontation ne fonctionne pas systématiquement et parfois je dois abandonner l'idée d’inclure un des édicules dans la série.
    Autant les photos de la série « Regards sur expositions » sont des instantanés, parfois de l'ordre du réflexe : visées, cadrées et prises dans le même mouvement pour certaines, autant ici il s'agit d'abord de retrouver un souvenir en face du sujet qui l'a suscité puis de chercher le cadrage apte à rendre compte de cela.
    Je ne m’imagine pas capable de faire un texte spécifique sur ce qui m'a particulièrement attiré dans tel ou tel cas. Il s'agit d'une image pas forcément très nette ou très détaillée, fabriquée alors que j'étais attiré et que j'essaye de retrouver et préciser en composant une autre image. L'ensemble du processus se passe dans l'illusion d'un tableau où le texte n'aurait pas vraiment sa place. J'emploie ce mot de tableau à dessein, car c'est celui employé par Roland Barthes alors qu'il décrit le ravissement, tel une image impressionnée dans la mémoire, et ses processus de reconstruction. Ces textes de Roland Barthes sur le ravissement sont de ceux qui fondent mes réflexions sur l'intuition dont je parlais précédemment.
    Les temps entre le moment où j'aperçois l'édicule et celui où je le photographie sont très variables, de moins d’une minute à plusieurs mois. Les conditions de lumières, le ciel, la saison et toutes ces ambiances qui concourent au pouvoir attracteur qui m’a, d’une certaine manière, ravi, ne sont pas systématiquement celles que je vais rechercher pour l’atmosphère du « portrait », mais plutôt celles en conformité avec l’image qui s’est formée et qui m’a attiré et qui peuvent être complètement imaginaires. Il n’est pas rare que je doive me rendre plusieurs fois sur les lieux jusqu’à ce que les conditions, aptes à retranscrire l’image recherchée, soient réunies.

- Tu le précises toi même, ce travail n'est pas de l'ordre du réflexe.
C'est une démarche réfléchie, faisant appel à des références photographiques spécifiques et pas forcément connues de tout le monde, ne redoutes tu pas qu'il soit mal ou faussement appréhender par un public non averti?


    Oui tout Ă  fait.
    Néanmoins dans cette série, le phénomène d’attraction demeure de l’ordre de l’immédiateté.
    Dans le travail sur les expositions ce phénomène d’attraction pour une situation, j’avais nommé cela une cristallisation, entre l’œuvre exposée, la scénographie, le spectateur éventuel (éventuel car ça ne concerne pas l’ensemble des photos) et mon regard sur l’œuvre, était suivi dans certain cas d’une réaction quasi machinale dans la prise de vue. Mais parfois comme je l’expliquais dans la dernière interview, il manquait « quelque chose » et je me tenais dans une position d’attente vis à vis de cette cristallisation entrevue, espérée, mais qui cependant demeurait hypothétique.
    Le travail sur les édicules s’inscrit d’une certaine manière dans cette position d’attente après l’impulsion initiale, mais effectivement d’une manière plus réfléchie et plus construite, puisque elle donne lieu à un protocole qui détermine la série.
    Un protocole et un mécanisme que je compte expliciter dans le texte de présentation de la série, afin que la démarche qui a guidé la production des photos puisse être éventuellement appréhendée et comprise.

- Ne peut-il être envisageable qu'une de ses oeuvres puisse s'épanouir seule pour ce qu'elle est, ou bien est-il toujours nécessaire d'avoir une vue globale du projet afin d'apprécier chaque image dans son individualité?

    Dans la réponse précédente j’emploie « éventuellement » de manière délibérée, car je ne considère pas que cette aperception soit nécessaire pour qu’on puisse apprécier ou ne pas apprécier, une (ou plusieurs) des photos, ou même la série dans sa totalité.
    Il ne s’agit que d’éléments mis à la disposition des personnes qui s’intéressent à la « fabrique », mais la fabrication n’est pas une fin en soi, ou ne devrait pas être une fin en soi.
    Cette démarche me guide dans le travail, mais d’une manière relative.
    Dans un premier temps l’editing concerne la photo en tant que telle, je ne m’attache qu'à considérer la photo indépendamment de la série pour décider si elle offre un intérêt suffisant pour être conservée. et seulement ensuite le fait qu’elle puisse ou non être incluse dans la série. Et cela uniquement de manière « formelle », car de manière « conceptuelle », elle l’est de fait. D’où certaines des photos que, dernièrement, j’ai soumises sur le forum pour avis à propos du type, ou de la taille par exemple.
    Toutefois qu’elles soient ou non dans la série, à un moment je les ai considérées dans leur individualité et il me semble que chacune peut se suffire à elle-même.

- A part sur le forum, l'as tu déjà présenter à un public varié autour du toi, quels ont été les réactions?

    Si je ne tiens pas compte de quelques présentations diverses et isolées, j’ai également développé la série dans un fil sur le forum Chasseur d’Images, depuis lequel j’ai eu quelques retours et avis comme celui que j’ai évoqué à propos de la lumière.
    Il y a peu j’ai eu l’occasion, presque par hasard, de soumettre à la responsable d’une galerie les tirages que j’avais fait réaliser de « Regards sur expositions » et je lui ai montré les « work in progress » que j’avais sur l’iPad dont les portraits d’édicules. Elle a manifesté un certain intérêt notamment pour présenter ces deux séries qu’elle trouvait différentes tout en présentant un certain nombre de similitudes.

- L'aspect sériel est très important dans le style documentaire/objectif. Peut-on s'attendre à d'autres séries du genre?

    Je ne compte pas, tout au moins dans l’immédiat, décliner ce type de série à un autre sujet que les édicules. Je n’ai ni l’ambition, ni l’envie de développer un travail de type documentaire, malgré mon attachement et la prédominance de ce style dans le corpus de mes références. En revanche, tout comme il y a certains points communs entre « Portraits d’édicules » et « Regards sur exposition », j’ai en projet d’autres séries photographiques qui participent, chacune à leur manière, chacune avec leur propre éclairage, à un ensemble de notions qui me préoccupent et qui me mobilisent à travers la photographie, mais aussi dans d’autres moyens d’expressions ou de réflexions. Des notions qui s’entremêlent autour de mot-clés tel que : affordance, conception, intuition, morphogenèse, perception, ravissement, réalité (celle que l’on construit), regard, saisir, souvenir… pour ne citer que les principaux dans un ordre alphabétique afin de ne pas induire un ordre de préférence.

    En étant plus précis quant à certains de ces projets, tout en restant suffisamment évasif pour ne pas bloquer la gestation :

    Une série qui germe déjà depuis un moment qui renouerait avec des réflexions et des écrits que j’ai produit il y a quelques années sur le concept de réalité, prétextés par les travaux des réalisateurs Michelangelo Antonioni et Wim Wenders notamment à travers certains de leurs films qui m’avaient fortement marqué à une époque : Identificazione di una donna (titre français : Identification d'une femme), Der Stand der Dinge (titre français : L’État des choses).

    Une qui traiterait de la mise en scène, de l’apparence, du rapport immédiat que, selon la doxa, la photographie est censée entretenir avec la réalité en tant que « copie exacte », et qui de fait se rattacherait à l’histoire de certaines photos tel que le « Baiser de l’Hôtel de Ville » de Robert Doisneau, ou le « Loyalist Militiaman at the Moment of Death, Cerro Muriano, September 5, 1936 » (il me semble important de respecter le titre original dans son intégralité) de Robert Capa. Toutefois le sujet envisagé pour cette série sur les portraits de famille, serait sans rapport avec ces références mais ajouterait aux notions précitées mon point de vue sur ce sujet d’actualité qu’est la famille.

    Je conçois que tout est sujet à être photographié, une pensée qui chez moi peut atteindre un paroxysme qui va jusqu’à l’inhibition. Durant des périodes plus ou moins longues, il m’arrive d’être incapable prendre la moindre photo, faute de pouvoir effectuer un choix discriminant. J’ai un projet sur ce sujet du « choix » qui se déroulerait sur les chemins de Compostelle, mais pour cela il faut que je dégage un peu de temps et aussi quelques fonds.


- Puisque tu me lances sur le concept de réalité, j'aimerais bien connaître ton opinion, sur l'un des débats de DxD:
"La photographie est-elle, ou se doit-elle, être une représentation de la réalité ?"


    Merci pour le lien.

    Puisqu’à ton tour tu m’as lancé sur ce sujet, j'avancerai que la photo est une représentation de la réalité telle qu'elle est perçue par le photographe. Une réalité qui n’est ni universelle, ni vérité, ne serait-ce que par le choix du cadrage. Même la photo la plus banale, mal cadrée (si tant est qu’on puisse dire qu’une photo est mal cadrée) a été extraite d’un contexte plus large, son auteur a choisi d'inclure ou d'exclure certains éléments qui de fait n'apparaîtront pas dans l'image que chacun regardera ensuite. Un hors-champ qui dans certains cas n’est en aucun cas perceptible.

    Dans une précédente réponse, j'évoquais une opinion communément admise par un grand nombre qui assimile la photographie à un procédé susceptible de « photocopier » la scène. Cette façon de penser oublie un peu rapidement que la photo est un art de la transformation : physique, chimique et maintenant également numérique.
    L'optique avec sa focale, sa formule, son ouverture, et même la qualité de ses lentilles influence cette soi-disante « photocopie ».
    L'ensemble du traitement n'est également qu’une transformation et cela ne date pas du numérique. Sous l’agrandisseur des masquages, visant à faire monter ou, au contraire, à estomper certaines zones étaient (sont) pratiqués. Le choix du grade des papiers conditionnait (conditionne) le contraste, des filtres pouvaient (peuvent) être installés pour intervenir sur les températures de couleurs, les films étant sur ce point beaucoup moins souples que les fichiers raw, etc.
    Si ce travail sous l’agrandisseur peut être plus ou moins assimilé à celui effectué dans le derawtiseur, la retouche se pratiquait (se pratique) également en argentique au moyen de plumes, pinceaux, encres, gouaches. N’importe quel photographe, même d’une petite ville retouchait les agrandissements choisis. Je me souviens des boîtes pleines de photos chez mes grand-parents, sur certaines d’entre-elles étaient estampillées d’un tampon « non-retouché ».
    L’exposition Gary Winogrand présentée l’année dernière au musée du Jeu de Paume, permettait d’admirer des tirages d’époques, sinon réalisés par Gary Winogrand lui-même, tout au moins sous sa direction, qui présentaient clairement des zones de masquage.
    Plus récemment, dans l’exposition « Dans l’atelier. L'artiste photographié d'Ingres à Jeff Koons » présentée au Petit Palais, la « photo » la plus impressionnante de l’exposition était sans conteste ce portrait de Piet Mondrian (1990) agrandi à taille humaine. En fait de photo il s’agissait d’un dessin de Jean Julien Olivier dit Hucleux, un ancien retoucheur de photographie devenu peintre. Et comme le disait le petit texte de présentation : « la densité minutieuse de chaque détail et la parfaite maîtrise graphique, confèrent à l’œuvre une intensité illusionniste déroutante. ». La photo numérique a peut-être changé le fait que chacun peut maintenant s’essayer à retoucher, mais même de manière numérique, la retouche de haute volée demeure une affaire de spécialistes et je ne suis pas certain qu’il y ait plus de retoucheurs vraiment compétents aujourd’hui en photo numérique, qu’hier en photo argentique.
    Pour présenter encore un argument, qui va à l’encontre de cette idée reçue qui considère que la photo puisse être la photocopie de ce qu’elle représente. Il suffit d’ouvrir le même fichier raw dans deux derawtiseurs pour s’apercevoir que les rendus colorimétriques sont complètement différents et que la soi-disante représentation exacte de l’objet photographié n’a pas d’existence.

    Je terminerai ce rapport à la réalité par un sujet qui rejoint celui de la photo documentaire, à propos de la photo de la mort d’un soldat de Robert Capa. Le doute substituait déjà depuis un moment quant au fait que cette photo n’ait pas été capturée dans l’instant de la mort de ce soldat, mais « jouée ». Il semblerait, en prenant les précautions d’usage quant aux incertitudes inhérentes à ce type d’investigation, qu’une enquête scientifique sérieuse avec recoupements ait réussi à lever le doute et que cette photo a effectivement été « jouée ». Beaucoup s’en offusquent, claironnent tricherie et mensonge, en oubliant d’ailleurs un peu vite que Robert Capa a laissé la vie sur un champ de bataille lors d’un reportage.
    Il n'y a à mon sens aucune duperie, pour rendre compte de cette mort avec autant de réalisme et de brusquerie. Il me semble évident que Robert Capa a côtoyé cette mort plus d'une fois et en a compris toute la soudaineté, et il a su transmettre cela peut-être mieux qu'à travers une captation instantanée. A-t-on besoin nécessairement d’une "snuff-photo" pour comprendre la réalité et la brusquerie d'un homme fauché par une balle ?

- Aurais tu des conseils de lecture pour ceux d'entre nous qui souhaitent approfondir leur connaissance en histoire de l'art, et particulièrement des différents courants photographique?


- Merci Hervé pour cette interview encore une fois très riche.
J'ai pour ma part pris beaucoup de plaisir à la réaliser, j'espère que tu continuras encore longtemps à partager tes recherches, projets et questionnements avec nous.
C'est un regard photographique peu courant sur le forum, qui s'en trouve donc enrichi. Et pour ça, merci encore.
Comme à l'accoutumée, je te laisse tribune libre pour le mot de la fin:


    Un grand merci Ă  vous tou(te)s qui animez ce forum.
    Merci pour cette interview, la troisième, ce qui me flatte beaucoup.
    Merci à J.C. pour ces questions pertinentes qui outre le travail rétrospectif qu’elles ont engendré m’ouvrent à de nouveaux questionnements quant à l’impact des photos sur le public en l’absence de textes explicatifs.
    Merci à toutes celles et tous ceux qui sont passé(e)s sur le fil consacré à ces portraits d’édicules, qui ont laissé des remarques, des avis, des critiques qui me sont d’une grande aide dans l’avancement de ce projet.

    Je souhaite Ă  chacun(e) de faire les photos dont il(elle) a envie.
Dernière édition par J.C le Ven 11 Nov 2016 20:38, édité 1 fois.

Dami1
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#2 Message Lun 24 Oct 2016 20:48


Gros travail avec plein de références, je reviendrai pour voir les liens, merci a vous 2 pour ce moment pédagogique.

cerise
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#3 Message Lun 24 Oct 2016 21:11


A lire en plusieurs fois :wink: mais je trouve ta démarche Airv très intéressante !
Cela me fait sortir de ma zone de confort :)
Merci Ă  tous les deux :topla:
"Plus tard, il sera trop tard. Notre vie, c'est maintenant."
Jacques Prévert


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christac
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#4 Message Lun 24 Oct 2016 22:04


analyse impressionnate et interviesw des plus agréable à lire. :commeca: :+1: :+1:
"On n'a pas deux coeurs, l'un pour les hommes, l'autre pour les animaux. On a un coeur ou on n'en a pas." Alphonse de Lamartine 1790-1869
"La seule chose à prendre au sérieux... c'est la plaisanterie !" Daddy (DBLG)

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#5 Message Lun 24 Oct 2016 22:07


Immense merci à vous deux pour cet entretien riche et dense, ce dialogue mérite d'être lu attentivement pour tenter de suivre les pistes de relexion qu'il ouvre.

Cela prendra du temps mais déjà je retiens ce tout petit bout de phrase à la fin : "de nouveaux questionnements quant à l’impact des photos sur le public en l’absence de textes explicatifs.", y' a de quoi ouvrir un nouveau débat rien que sur cette question ...
A7rII - FE 50/1,8 - FE 90/2,8 Macro - FE 20/1,8 - FE 200-600
et aussi OM 50 Shembra - OM 24 f2,8 - OM 100-200 - Samyang 500 f6,3 (+doubleur) - Samyang 8 f2,8 fisheye - Canon MPE 65
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#6 Message Mar 25 Oct 2016 06:26


Belle interview, merci à vous deux. À relire en plusieurs fois avec cette richesse de renseignements.
\\\\ Amicalement Xavier G. ////
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le_rico
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#7 Message Mer 26 Oct 2016 20:42


Franchement, cette image et toute la série ne me cause pas du tout, l'interview, comment dire, j'ai abandonné (j'suis pas assez cultivé, j'ai pas tout compris !!!)....Par contre, intrigué je suis allé faire un ptit tour sur le FILCKR de Hervé, et là :shock: , j'ai vu beaucoup de choses qui me plaisent vraiment, vraiment :commeca:
A7 R3 / SONY FE 16-35 F4 / SONY FE 24-105 F4 G OSS / SONY FE 90 F2.8 MACRO G OSS / CANON EF 50 F1.4 USM / SIGMA 35 F1.4 ART / SIGMA MC11 / GODOX XPRO / 3 x GODOX V860 II
Sinon, c'est celui qui dit qui y est !!!!!!

Carib0u
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#8 Message Ven 28 Oct 2016 19:51


AirV nous développe avec brio ce qu'est une démarche artistique,
grâce aux questions de J.C on rentre vraiment dans la description du processus de création.
C'est vraiment profitable :clap:

On aime ou pas les photos peut importe, seul la démarche et la finalité de ton travail compte vraiment,
pour cela je te remercie du temps passé à répondre aux questions de J.C....

Merci aussi à l'interviewer qui a fait un boulot de dingue, franchement digne d'une revue spécialisée :clap: :clap:
Je déteste qu'on essaie de me faire passer pour un con, j'y arrive très bien tout seul.

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#9 Message Sam 29 Oct 2016 10:26


Carib0u a écrit :AirV nous développe avec brio ce qu'est une démarche artistique,
grâce aux questions de J.C on rentre vraiment dans la description du processus de création.
C'est vraiment profitable :clap:

On aime ou pas les photos peut importe, seul la démarche et la finalité de ton travail compte vraiment,
pour cela je te remercie du temps passé à répondre aux questions de J.C....

Merci aussi à l'interviewer qui a fait un boulot de dingue, franchement digne d'une revue spécialisée :clap: :clap:

C'est très bien dit.
Bravo et merci Ă  tous les deux pour ces explications exhaustives, enrichissantes et atypiques :commeca:
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